Les contradictions lorsque l’on (sur)veille notre enfant dans son sommeil

À leur arrivée dans ce monde, les bébés sont particulièrement vulnérables.

Ils ne peuvent pas manger seuls, se changer la couche, aller au lit lorsqu’ils sont fatigués : ils sont complètement dépendants de nous. 

Et cette dépendance est magique en quelque sorte, car elle amène l’enfant à créer avec ses parents des liens d’amour inaltérables : on ne naît pas parents avec le mode d’emploi d’un bébé, mais on devient le parent idéal, ajusté aux besoins de notre bébé, en l’observant, en l’écoutant, en le massant… En s’occupant de lui jour après jour.

Cette vulnérabilité est donc un cadeau, car grâce à elle, nous prenons soin. Nous veillons avec empathie. Nous avons une nouvelle dimension du cœur qui s’ouvre, l’inconditionnel… Sans conditions, nous veillons sur notre enfant, surtout dans le sommeil ! Démesurément parfois : juste au cas où ! 

  • Comme si des animaux menaçants allaient l’attaquer.
  • Comme si le moindre de ses mouvements était le signe d’un inconfort, ou pire.
  • Comme si se détacher, s’autonomiser, était aussitôt synonyme d’abandon. 

Nous guettons, notre bébé vulnérable. Nous restons près de lui pour le veiller, encore et encore et encore…!

Nous le veillons jusqu’à ce qu’il ait 8 mois ? 1 an ? 15 mois ? 3 ans ?

Si c’est le cas, je voudrais vous demander :

  • Pourquoi des bébés, des petits enfants, demandent-ils à aller se coucher, en suppliant leurs parents par un simple regard de les déposer dans le lit douillet, car ils sont fatigués ?
  • Tandis que d’autres, supplient leurs parents du regard de ne surtout pas entrer dans cette chambre, de ne surtout pas les quitter alors qu’ils sont allongés dans leur dodo, car l’univers du sommeil leur paraît être un monde effrayant, voire terrorisant pour certains ?

Personnellement, je pense que dans ce dernier cas, les parents ont continué à veiller leur enfant dans le sommeil en grandissant. Et cet enfant sait que si son parent le sur-veille, dans cette chambre, alors qu’il est allongé dans ce lit, c’est qu’il y a forcément un danger ! Pourquoi notre figure d’attachement resterait-elle près de nous sinon ?

Beaucoup d’enfants ont associé en grandissant l’univers du sommeil comme étant dangereux, car leur figure d’attachement – papa/maman – continue de les protéger du sommeil, en restant près d’eux, concrètement, physiquement. (Le paradoxe est subtil puisque l’on sait que notre enfant a aussi besoin d’être accompagné…)

  • Papa a beau dire : « Ne t’inquiète pas, tu peux t’endormir, je sécurise la maison, il n’y a aucun danger ! » pour lui prouver que le sommeil n’est pas dangereux.
  • Maman a beau insister : « Vraiment mon petit, je t’aime de tout mon cœur, tu peux t’endormir, je fais confiance au sommeil, tu vas voir, c’est merveilleux d’être reposé, vas-y, plonge… ».
  • Ces parents continuent de prouver par leurs actes, par leur présence physique, que le sommeil est dangereux : ils ne quittent pas leur petit, au cas où.

Il est caché là, « le fameux loup » qui fait peur !

Dans les actes qui prouvent à l’enfant le contraire, de ce que l’on souhaite pourtant lui faire passer comme message ! 

Lorsqu’on s’adresse à notre petit avec des mots, du vocabulaire : « Ne t’inquiète pas, tout va bien, maman/papa est là… » Nous exprimons un concept imaginaire ! Nous, adultes intelligents, nous le comprenons, nous pouvons nous imaginer que « tout va bien » ! Mais pour notre petit enfant, ça ne veut pas dire grand-chose. 

Cela peut même entraîner la croyance qu’il y a un « danger potentiel » qui ne se voit pas, car lorsque vous dîtes ces paroles réconfortantes, que fait votre gestuelle ? Des gestes qui prouvent que vous protégez encore votre enfant. Vous caressez sa joue jusqu’à ce qu’il s’endorme. Vous lui tenez sa main fermement, comme lorsqu’il a peur de descendre du toboggan. Si votre parole exprime un concept amenant sur un chemin A, et que votre gestuelle et exprime un concept amenant sur un chemin B, d’après vous, que va croire l’enfant ?

Il va continuer de croire le concept exprimé par votre gestuelle, le chemin B ! Le corps, le physique, «la conséquence logique», c’est le propre de la petite enfance !

Ils comprennent par des actes concrets dans la matière. Et c’est logique ! D’ailleurs depuis quelques années, on nous le tourne en boucle : « Le cerveau de notre bébé et de notre petit enfant est immature… ».

Pourtant -et paradoxalement- dans le sommeil, on continue de procéder comme s’il était mature en lui parlant de notion comme la sécurité!

De plus, lorsque nous veillons en restant près de notre petit, nous lui donnons l’occasion de nous ressentir « looonguement ». C’est le chemin C ! Des micro-émotions comme la fatigue, le stress, la peur, vous traversent et se déversent à moment donné sur votre visage, dans vos gestes… 

Il sent votre hésitation, il sent que vous redoutez ses pleurs parce que vous en avez peur, car vous ne savez plus comment l’aider, et surtout, vous ne supportez plus d’entendre ses sons stridents vous casser les tympans… 

Alors en plus d’être hésitant, il se peut que vous soyez en colère aussi parfois, avant que votre enfant ne plonge dans le sommeil. Ce qui entraîne des signaux vraiment contradictoires pour un petit qui doit passer «en parasympathique», dans le calme donc, pour attendre toute sa magie hormonale du sommeil.

Je ne dis pas cela pour vous culpabiliser, en tant que professionnelle de la petite enfance, vous vous doutez bien que ça n’est pas mon intention…

Mon intention est de vous aider. 

Et là où je veux vous amener c’est ici : à chaque endormissement, à chaque réveil de la nuit, à chaque micro-réveil de la sieste, vous empruntez 4 chemins à la fois !

  • Le Chemin A : vous expliquez par des mots que tout va bien dans le sommeil. Vos mots changent, prennent différentes intensités, en fonction de vos différentes humeurs…

 

  • Le Chemin B : vous restez quand même physiquement près de votre enfant au moins dans ses endormissements, au cas où ! Parfois, près de lui, parfois plus loin, parfois en lui tenant la main.

 

  • Le chemin C : vous êtes hésitant parce que plus il grandit, plus les endormissements sont à rallonge. Il a peur que vous ne partiez, et justement à mesure qu’il grandit, il est plus fort sur le système hormonal pour maintenir sa vigilance afin de vérifier que vous restez bien dans sa chambre. Vous êtes agacé, tiraillé, entre le fait d’être « bienveillant pour continuer de l’accompagner » et par le fait que vous en avez marre de ne plus avoir de temps pour vous, pour les aînés, pour votre couple, pour souffler…

 

  • Et le chemin D : vous laissez votre enfant vous guider selon son rythme ! Alors oui, nos enfants sont merveilleux, remplis de ressources, ils sont nos maîtres de l’insouciance et de l’intuition. Je suis complètement d’accord, et je peux d’ailleurs passer des heures à rester assise à les observer, tout en étant le rocher sur lequel ils vont venir à un moment donné s’appuyer. Mais si un enfant a peur du sommeil, il va résister encore et encore, son rythme naturel est cassé par la peur : le train du sommeil sera déjà passé : 2 fois, 3 fois, voire 4 fois ! En laissant notre enfant nous guider, nous prenons le risque de louper son rythme réel, celui qui comble ses besoins physiologiques réels ! Vous voyez un signe de sommeil : il est fatigué. Il a peur du sommeil : il ne va pas dormir pour autant, il va résister, par une infinité de moyens détournés…

Emprunter, ces 4 chemins différents, amène des contradictions.

Les bébés et les enfants n’aiment pas les contradictions, car cela n’est pas clair, ça change, et on déteste tous le changement…

Les pleurs aux endormissements expriment «des questions» comme l’indique Anna Wahlgren dans son livre «Au dodo les petits». « Mais pourquoi papa, maman tu me surveilles? » « Mon lit est-il dangereux? » « Quand est-ce que tu vas partir? » « Mais pourquoi ne restes-tu pas toute la nuit avec moi? » « J’en ai marre, je veux dormir, je suis fatigué! »

Pour exprimer tous ces questionnements sur cet univers du sommeil contradictoire lié à ces changements de chemins, beaucoup de petits oscillent entre grande colère et sentiment d’insécurité, même si leur parent est à côté.

C’est principalement ce que je propose de retravailler avec les familles en tant que consultante du sommeil, par le biais de mon accompagnement « Le Sommeil Physio’Logique en Confiance ». 

Ce n’est pas une méthode à suivre à la lettre, c’est plutôt un chemin avec différentes étapes, pour que les petits puissent acquérir la certitude que le sommeil autonome n’est pas dangereux. 

Ce qui changera réellement, c’est votre état d’esprit, vous deviendrez un « Gardien du sommeil » sécurisant pour votre enfant, en empruntant LE chemin que vous aurez déterminé en consultation, en fonction d’où en est votre petit par rapport à son développement global.

Elodie Kuzminski,

Professionnelle du sommeil de bébé et de l’enfant,

Doula postnatale et Auteure du livre « Le sommeil de nos bébés »

https://formations.lumienaissance.com/sommeil

 

PS : Chaque famille, chaque enfant est différent, même si la physiologie est assez semblable d’un individu à un autre. J’adapte l’accompagnement, pour qu’il y ait une réassurance, puis la confiance dans le détachement progressif pour l’enfant.

On entend aujourd’hui qu’il y a des méthodes qui « dressent un enfant à dormir », qu’il est « normal qu’un enfant tète plusieurs fois la nuit après 6mois, à la demande »,  que « le sommeil n’est pas acquis avant 6 ans » et donc qu’il serait normal qu’il ne dorme pas. Ce sont des affirmations qui mettent les familles – surtout des enfants- dans de grosses dettes de sommeil et qui désunies les couples, au nom des récentes découvertes en neurosciences.

Ce qui est intéressant c’est qu’on peut utiliser ces même neurosciences dans le sens contraire, notamment pour montrer que la dette de sommeil engendre des méfaits sur le corps, comme  certains RGO, ou TDAH. Ou bien encore, qu’il y a en effet des pleurs de stress qu’il est bon d’accompagner, mais aussi des pleurs de décharge qu’il est bon de ne pas taire, pour laisser l’enfant librement s’exprimer.

Aider un enfant à avoir confiance dans un sommeil autonome, pour qu’il n’ait plus peur de dormir, est aussi un chemin du cœur sinon je ne ferai pas ce métier !